Guerre des brevets, un méli mélo insoluble ?

Le hasard fait parfois bien les choses, mais pour le coup, il faut dire que les coïncidences sont franchement amères. Alors même que l’iPhone fêtais ses 5 ans, Apple a été gâté […]

Le hasard fait parfois bien les choses, mais pour le coup, il faut dire que les coïncidences sont franchement amères. Alors même que l’iPhone fêtais ses 5 ans, Apple a été gâté et a reçu en cadeau un jugement extrêmement favorable qui offre une injonction préliminaire contre le Galaxy Nexus ! L’information a déjà fait le tour du web et déchaîné les commentaires de fanboy d’Android et d’Apple, pourtant il me parait bon de faire le point sur les enjeux des choses et en quoi ce jugement, temporaire il faut le rappeler, pourrait avoir un impact énorme sur l’avenir de toute cette industrie.

Les procès dans le domaine des smartphones et tablettes sont très nombreux depuis quelques années, et les choses ne cessent de s’intensifier. Les entreprises concernées sont très nombreuses, Apple, Microsoft, HTC, Samsung, Asus, Motorola, Sony, LG, RIM, Nokia et j’en passe… Vous noterez que j’ai volontairement exclu Google de la liste, en effet en dehors de leur affrontement direct avec Oracle sur l’utilisation du Java, pour le moment gagné par Google, l’entreprise n’a jamais été impliquée directement dans ces procès !

La raison est double, dans un premier lieu Google a toujours affirmé que le système des brevets est parfaitement mauvais et contre productif. Ils ont en effet un portefeuille de brevet extrêmement léger comparé à celui des autres acteurs, et ont de plus décidé de ne jamais attaquer qui que ce soit pour ces raisons. Ce qu’ils ont toujours respecté à ce jour, je ne comptes volontairement pas les procès concernant Motorola qui ont tous été initiés avant le rachat. En second temps, Google n’a jamais produit de matériel directement sous son nom, exception faite du Nexus Q présenté très récemment. Dès lors, chaque attaque des concurrents ne peut se faire directement sur Google, même si l’appareil en question embarque le système développé par eux !

Les brevets logiciels, un système bancal ?

C’est en effet une des première limitation du système des brevets logiciels. Ils n’ont de « logiciels » que le nom, car finalement l’entreprise incriminée n’est pas celle qui a potentiellement réalisé la faute mais celle qui a utilisé ce logiciel dans son matériel… Ainsi on a vu énormément d’attaque concernant Android qui sont tombées sur les épaules des fabricants. Apple Vs HTC, Apple Vs Samsung, Microsoft Vs tout le monde…

Une autre problématique du système actuel, c’est que les brevets sont souvent accordé sur de simples concepts ou des principes désormais acquis par tout le monde et qui paraissent évident. D’autant que certains sont particulièrement anciens, plusieurs brevets opposés à Android ont plus de 10 ans, parfois 20… Si l’on peut considérer qu’à cette époque là la chose était novatrice, dans un univers qui évolue aussi vite, 10 ans après la chose n’est plus qu’un concept de base.

On retrouve la chose dans le brevet de l’auto détection des données dans un texte (data-detectors) qui a déjà permit à Apple de gagner contre HTC. Ce brevet, en résumé, permet de détecter les éléments à transformer en zone actives dans un texte, comme par exemple un email ou un numéro de téléphone. une fonction parfaitement basique et qu’on est tous en droit d’attendre d’un système mobile moderne. Ce brevet a pourtant été déposé en 1996 et accordé en 1999… A une époque ou la chose n’était pas aussi évidente. Le contourner n’est pas impossible, on peut imaginer une interface présentant ces mêmes informations après le texte sous forme de liste d’action ou alors tout simplement laisser l’utilisateur faire un copier/coller, mais cela nuit grandement à la simplicité d’utilisation et surtout, cela va à l’encontre de ce que l’utilisateur s’attends à trouver.

Un jugement qui fera date ?

En dehors même des considérations de validité ou de légitimité du ou des brevets mis en cause, il se pourrait bien que la décision de bloquer les ventes du modèle porte étendard de Google, celui-là même qui est mis en avant pas l’entreprise pour vendre Android et ses évolutions, celui là toujours qui reçoit avant les autres les mises à jour de la plateforme comme le maintenant célèbre Jelly Bean (4.1) à venir d’ici 15 jours, soit le tournant dans tout cet imbroglio de procès.

Car en bloquant ce modèle, et même si le jugement ne touche théoriquement que Samsung, c’est tout Android qui est concerné. Bloquer un appareil sur une fonction logicielle, quand ce logiciel est la version la plus « basique » du système, c’est potentiellement pouvoir bloquer n’importe quel appareil du marché. Le brevet en question (8,086,604) décrit une méthode de recherche unifiée depuis diverses sources, aussi appelé « brevet Siri » de part son usage effectif dans cet élément de l’OS mobile d’Apple. Ce brevet, déposé en 2004 et validé en décembre 2011 (!), semble être bien parti pour être la fameuse arme thermonucléaire souhaitée par Steve Jobs contre Android.

C’est toutefois ironique de voir que tout le système Android se voit mis en péril par un brevet sur un moteur de recherche, quand on connait l’historique de Google en la matière…

Quelles réactions possibles pour Google et ses partenaires ?

En l’état et sur ce jugement même, Google ne peut rien faire, étant donné que seul Samsung est impliqué comme je le disais plus haut. Et même si Google disposait de brevets pouvant aider Samsung dans son procès, il ne devrait pas pouvoir interférer, une tentative similaire d’échange de brevets à HTC ayant été retoquée il y a quelques mois comme l’expliquait Florian Mueller.

Samsung devra donc faire cavalier seul pour le coup, et tenter de trouver une réponse adéquate afin d’éviter le pire. Leur défense semble pour le moment s’orienter sur la contestation du dommage subit, affirmant que le fait qu’Android viole ce brevet ne remet pas en cause les ventes d’iPhone… Une argumentation qui semble un peu légère pour le moment. Et il faudrait aussi que Samsung évite de tomber dans sa mauvaise habitude de répliquer avec les brevets dits « FRAND » qui couvrent les technologies dites indispensables et que l’entreprise est tenue de licencier à un prix raisonnable et non discriminatoire.

Toutefois il est maintenant certain que Google ne pourra pas rester silencieux, une attaque qui cible le coeur du système pourrait avoir des implications désastreuses, bien pire que les attaques de Microsoft qui ont passé des accords avec quasiment tous les fabricants Android à hauteur de 10 à 20 dollars par appareil vendu…

Difficile de savoir ce que Google va faire, mais il semble de plus en plus évident que les achats de brevets récents, soit directement auprès d’autres entreprises, soit en ayant racheté Motorola Mobility, vont un jour se transformer en action en justice. Contrairement à la position historique de ne jamais attaquer, l’entreprise ne va bientôt plus avoir d’autres choix que d’attaquer directement ceux qui pourraient mettre en péril tout ce qui a été réalisé jusque là.

Une autre solution possible serait une attaque groupée directement orchestrée par l’Android Open Handset Alliance qui représente l’ensemble des acteurs engagés dans la plateforme Android aux côtés de Google. Difficile de savoir comment une telle attaque pourrait s’organiser mais elle aurait de fait énormément de poids face à un ou deux autres acteurs, aussi gros soient-ils.

Apple pourrait-elle vraiment tuer Android ?

Un autre problème pourrait intervenir pour Apple, si jamais ils gagnaient ce procès sur ce brevet, il ne fait aucun doute qu’ils continueraient sur d’autres appareils. A partir d’un moment ils pourraient eux même se retrouver victime d’une attaque d’un autre fabricant ou bien d’un des organismes de régulation comme la FTC ou l’ITC, jugeant que les pertes potentielles suites à ces blocages pourraient largement excéder les dommages subits par Apple eux même.

Dans ce scénario, encore hautement improbable, on verrait Apple en position de pouvoir appuyer sur la gâchette de n’importe quel appareil, tout en courant le risque de se voir réprimés par leur action.

D’un autre côté, il faudra aussi que Google (via son rachat de Motorola) et Samsung cessent d’utiliser certains brevets FRAND dans leurs attaques contre les autres entreprises. Une attitude qui, si elle peut paraître légitime sur le principe, passe très mal dans la réalité et se voit bien souvent rejetée ou même pénalisée par les régulateurs.

En attendant, les prochains mois vont être cruciaux quand à l’avenir du marché mobile, et la position de certains juges qui commencent à en avoir ras le bol des attaques à tout bout de champs pourraient peut être décider les USA de revoir en profondeur le système des brevets logiciels. Un objectif pour lequel Google fait un preuve d’un lobbyisme acharné, mais qui ne serait pas du goût de toute l’industrie, et principalement les acteurs ayant un large portefeuille de brevets… A suivre !

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