Deux dindes ne font pas un aigle

C’est dans ces termes peu flatteurs (« Two turkeys do not make an Eagle ») que Vic Gundotra, vice président de l’ingénierie chez Google, a commenté sur Twitter l’accord entre Nokia et Microsoft… http://twitter.com/#!/vicgundotra […]

C’est dans ces termes peu flatteurs (« Two turkeys do not make an Eagle ») que Vic Gundotra, vice président de l’ingénierie chez Google, a commenté sur Twitter l’accord entre Nokia et Microsoft… http://twitter.com/#!/vicgundotra

C’est dire l’estime que porte Google à cette annonce, et effectivement, il y a de quoi se poser de sérieuses questions. Mais avant tout, petit rappel des faits !

Retour en 2007, Nokia est le leader incontesté de l’industrie du mobile, et ce depuis déjà plus de 10 ans ! Une quasi éternité dans le monde des technologies de l’information. L’entreprise, pionnière du domaine, a connu de très très grands succès avec ses précédents modèles dont certains sont devenus des objets cultes d’une génération, tel le 3210 lancé en 1999 qui s’est vendu à plus de 160 millions d’exemplaires et continue de faire l’objet d’un certain « culte » en étant relancé récemment par Lekki, une boite française ! http://www.lekki.fr/

Mais les choses vont bientôt changer, Apple lance l’iPhone cette année là. Le début d’une vague qui va rapidement retourner le monde du mobile. L’iPhone n’était pas le premier « Smartphone », ni même le meilleur du genre à sa sortie (pas de 3G, pas de Visio, pas d’applications natives, très cher, uniquement chez un seul opérateur par pays…), et pourtant, pour une fois je vais plagier le slogan d’Apple : « Ça change tout, encore une fois ».

Et si à ses débuts, l’iPhone s’adresse à un public très différent de celui des appareils de Nokia, très vite tout le monde s’empresse de foncer dans la brèche qu’il ouvre : le public VEUT un « Smartphone », le public VEUT internet, des applications, du tactile et tout ce qui fait le charme de l’appareil d’Apple. Et si certains l’ont très bien compris (suivez mon regard ), d’autres ont fait l’autruche en se disant que de toute façon, ils vendaient de toute façon énormément, que la croissance était toujours là et que tout le monde ne mettrais pas des centaines d’euro dans un téléphone.

Et c’est vrai, Nokia continue de vendre, énormément. La croissance n’a jamais quitté les tableaux des résultats de l’entreprise, qui s’appuie principalement sur la croissance très forte du marché en général. Ainsi Nokia a encore vu son chiffre d’affaire progresser de 4% en 2010 comparé à 2009. http://press.nokia.com/2011/01/27/nokia-q4-2010-net-sales-eur-12-7-billion-non-ifrs-eps-eur-0-22-reported-eps-eur-0-20-nokia-2010-net-sales-eur-42-4-billion-non-ifrs-eps-eur-0-61-reported-eps-eur-0-50/

Mais dans le même temps, la croissance des concurrents a explosée, Android affiche une croissance de ses ventes insolente de 615% entre 2009 et 2010, Apple affiche une belle performance de 85%, quand Nokia peine à afficher 30%… Dans un marché en pleine explosion c’est une contre performance violente. Google se paye même le luxe de dépasser Nokia sur le nombre d’appareils vendus mondialement sur le dernier trimestre, un exploit ! http://www.canalys.com/pr/2011/r2011013.html

Et Nokia le sait, et le dit ! Le 9 février dernier, Stephen Elop, le tout nouveau PDG de Nokia, transfuge de Microsoft, l’annonce clairement dans un mémo interne : http://blogs.wsj.com/tech-europe/2011/02/09/full-text-nokia-ceo-stephen-elops-burning-platform-memo/ (traduction en français chez PCInpact : http://www.pcinpact.com/actu/news/61829-nokia-plateforme-en-feu-meego-android-windows-phone-7.htm). En résumé : Nokia se doit de réagir.

Car si Nokia vends encore beaucoup, principalement des téléphones bas et moyenne gamme, principalement en Asie et Afrique, les concurrents n’ont pas attendu dans leurs coin et ont commencé à proposer une série de smartphones aux fonctionnalités proches sinon équivalentes à celles de l’iPhone mais sur des appareils parfois bien moins cher. Et si les appareils haut de gamme Android n’ont rien à envier à l’iPhone, tant sur le prix que les fonctionnalités, il est vrai aussi que bien des appareils bas et milieux de gamme Android, Bada ou autres sont quasiment au même niveau mais pour bien moins cher. Et les rares téléphones équivalents de Nokia ont tout le mal du monde à trouver leur public. Le N900, pourtant un appareil très bien équipé tant sur le plan matériel que logiciel en son temps, reste un flop commercial exceptionnel. Jamais renouvelé depuis. Le dernier modèle du genre sorti par Nokia, le N8, utilisant la dernière évolution de son OS maison, Symbian, mais n’a pas su lui non plus attirer la foule.

Microsoft pour sa part est dans une situation un peu étrange. Si ils ont une longue expérience dans les OS mobiles et smartphones, ils n’ont jamais réussit à conquérir massivement le marché, sauf quelques rares niches professionnelles grâce à l’intégration parfaite et logique d’Exchange. Ce même marché qui a été très largement repris par RIM et son BlackBerry pour ces mêmes raisons. Et leur Windows Mobile, dans sa version 6.5, n’a pas évoluée depuis longtemps et n’est plus vendue depuis de longs mois.

En fin d’année 2010, ils ont donc décidé de réagir, en faisant table rase du passé, et en lançant un tout nouvel OS novateur : Windows Phone 7. Et ils ont plutôt fait les choses bien, il faut le dire. L’OS est bien pensé, avec son interface très spécifique qui a ses amateurs et ses détracteurs, mais différent des autres. Il fonctionne bien, rapidement et est bien adapté aux appareils tactiles de notre époque. Seulement son décollage est difficile, et malgré un lancement en fanfare, des avis très favorables de la presse et les retours clients satisfaits, les ventes ne semblent pas suivre. Microsoft n’a à ce jour donné aucun résultat chiffrés… Eux, ainsi que les quelques fabricants d’appareils Windows Phone 7 ne se contentent que de dire qu’ils sont « satisfaits » et que les ventes sont au niveau de leurs attente… Une belle langue de bois qui ne cache que difficilement la réalité, car il est assez évident que si les chiffres étaient bons, ils seraient rendus public avec fierté.

Et c’est là que se joue l’accord crucial pour ces deux entreprises, Nokia et Microsoft annoncent qu’ils vont désormais travailler ensemble : http://www.microsoft.com/presspass/press/2011/feb11/02-11partnership.mspx. Nokia déclare qu’ils ne vont plus à terme utiliser d’autres OS que celui de Microsoft. Envoyant d’un simple coup de balais Symbian et Meego à la poubelle…

Si l’on vois bien l’intérêt pour Microsoft de positionner son nouvel OS chez l’un des plus gros fabricant mondial, on situe beaucoup moins l’intérêt de Nokia de ne plus se baser que sur la solution de Microsoft. Car même si ajouter une corde à son arc et proposer également des appareils sous Windows Phone 7 était clairement un plus, délaisser Symbian, l’OS maison depuis des années, et Meego, l’OS développé depuis un moment avec d’énormes moyens conjointement avec Intel, était une idée saugrenue.

Et la réaction ne s’est pas faite attendre, les actionnaires de Nokia ont lourdement sanctionnés ce choix, le titre étant depuis en chute libre avec 25% de baisse entre le 9 février et le 14…

La première conséquence de cette nouvelle politique est assez fâcheuse, de très nombreux ingénieurs de Nokia voient leurs postes en péril. Car si ils étaient dédiés soit à Symbian, soit à Meego, l’abandon de ces OS risque de les mener tout droit au chômage…

La seconde est assez cocasse, si je puis dire, Intel qui travaillait avec Nokia sur Meego, s’est retrouvé le bec dans l’eau avec un OS non achevé qui perds son quasi unique support matériel. Nokia n’avait en effet pas mis Intel dans la confidence… Ils ont appris la chose comme tout le monde, pas voie de presse… Je vous laisse imaginer l’ambiance ! Officiellement ils gardent leur calme et ont simplement annoncé chercher de nouveaux partenaires… http://www.reuters.com/article/2011/02/17/us-intel-idUSTRE71G32N20110217

Mais le plus étrange dans tout ça c’est quand même cette relation entre Stephen Elop et Microsoft. Car juste avant d’être PDG de Nokia, le premier non Norvégien de son histoire, ce dernier travaillait pour l’entreprise de Redmond… Et les critiques fusent… Ainsi Elop a été accusé d’avoir été placé à la tête de Nokia par Microsoft afin de faire cet accord… Il s’en est défendu en revendant une partie de ses actions Microsoft et en investissant dans celles de Nokia. http://www.lavieeco.com/depeches/Le-patron-de-Nokia-a-vendu-ses-actions-Microsoft-newsmlmmd.525e389d1e314f60654d9c084aa8f413.1d1.xml.html

Sorti de ces considérations, la sauce peut elle prendre ? Peut être, mais cela semble mal parti ! Nokia a en effet annoncé depuis peu avoir besoin de temps et de quelques évolutions de l’OS de Microsoft avant de pouvoir sortir un produit l’utilisant… Dès lors on n’attends pas un Windows Phone Nokia avant, au mieux, la fin d’année 2011 ou début 2012 ! Plusieurs longs mois sans avoir un nouvel appareil phare ? Cela ressemble plus à du suicide commercial qu’autre chose… Surtout à la vitesse ou le marché évolue. D’ici là, Android et iOS vont encore gagner en part de marché, et RIM ne va certainement pas laisser l’année s’écouler sans changements.

Nokia a certes largement les moyens d’attendre, financièrement parlant ils sont plus qu’à l’aise, mais une fois partis dans une chute de vente et de notoriété, il est très difficile de reconquérir le marché. L’exemple de Palm en est une des très nombreuses preuves récentes.

Je ne vais pas jouer l’analyste et sortir ma boule de cristal, mais je vois très mal Nokia réussir à repartir avec une telle politique… A suivre…

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